Réflexions sur le racisme : ces imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Sur un bâteau à Zanzibar

Récemment, Audrey Pulvar a exprimé son indignation sur France Inter suite aux propos tenus par Jean-Paul Guerlain. Cette intervention m'a profondément touchée, et aujourd'hui, j'ai décidé, pour la première fois, de partager mon expérience personnelle sur mon blog.

Je ne suis ni noire, ni handicapée, mais ce qui me rend différente, si je puis l'exprimer ainsi, aux yeux de certaines personnes, ce sont mes origines. Mon père est Marocain et ma mère est Française. Malgré mon apparence qui ne correspond pas aux stéréotypes, certaines personnes prétendument bien-pensantes se permettent de faire des remarques déplacées sur mes origines... et cela suscite en moi une colère que je ressens profondément. Ces commentaires insultent mon héritage, mes parents et les pays dont je suis fière : la France et le Maroc.

Mon parcours de vie a été marqué par des lieux variés. Je suis née à Strasbourg, puis j'ai vécu au Maroc. A Casablanca, on me prenait plus souvent pour une non marocaine. J'ai eu une belle vie heureuse dans le respect de la diversité culturelle. J'avais une amie très proche qui était de confession juive, et c'est avec elle que j'ai fait l'expérience de l'antisémitisme pour la première fois. Alors que nous nous promenions dans la rue, un crétin nous a insultées en utilisant des propos antisémites. En tant qu'adolescentes, nous sommes restées silencieuses face à cette agression. Je n'avais pas envie de répondre à ce crétin que je n'étais pas juive. 

Après le baccalauréat, je suis revenue en France pour poursuivre mes études. Durant cette période, je me souviens d'une remarque d'une soi-disant copine étudiante qui m'avait dit : "tu es quand même jolie". Cette phrase m'a interpellée, car elle sous-entendait que les Marocaines ne pouvaient pas être belles, ce qui m'a profondément troublée.

A Colombo, au Sri Lanka

Ensuite, j'ai eu l'opportunité d'être employée à Bahrain en tant qu'hôtesse de l'air, et cela a duré quatre années riches en expériences. J'ai eu la chance de travailler aux côtés de collègues de diverses nationalités et de parcourir de nombreux pays. Mon parcours m'a permis de voir des réalités très contrastées : la misère au Bangladesh, le luxe des casinos de Londres, un coucher de soleil éblouissant à Singapour, ainsi que les cultures et les saveurs de villes comme Manille, Jakarta, Dubai, Dehli, Amsterdam, et bien d'autres encore.

Cette expérience m'a profondément marquée et m'a ouvert les yeux sur la diversité et la complexité du monde dans lequel nous vivons. J'ai appris à apprécier les différences culturelles et à être ouverte d'esprit envers les autres, quelles que soient leurs origines ou leur statut social. Voyager m'a apporté une précieuse leçon d'humilité et m'a encouragée à toujours chercher la beauté et la bonté qui résident en chaque individu que je rencontre. Nous sommes tous fait de chair et de sang. 

Je me souviens d'un voyage qui a duré dix jours, durant lequel j'ai eu des échanges fréquents avec une collègue libanaise dans la langue de Molière. Cependant, la chef de cabine nous a demandé de ne pas parler en français car cela l'irritait.: "Do not speak French, this language put me on my nerves" (Ne parlez pas en français, cette langue m'énerve). Lors du vol vers Zanzibar, j'avais discuté avec un passager belge, en français (évidemment).  Ce passager, pour exprimer sa gratitude envers l'équipage de la classe économique (nous étions six personnes), a offert un parfum à chacun d'entre nous.  En fait, ce qui compte dans un avion, c'est le service client, le passager doit être satisfait, et il était. Cependant, tout au long des vols, la chef de cabine semblait me surveiller de près et n'hésitait pas à me réprimander pour des raisons parfois infondées. Lors de nos escales à Londres, Abu Dhabi ou Zanzibar, ma collègue libanaise et moi évitions de participer aux réunions de l'équipage, préférant nous tenir à l'écart.

De retour à Bahrain, j'ai été convoquée par le service du personnel à cause d'un rapport peu flatteur rédigé par la chef de cabine. Elle prétendait que je ne respectais pas les normes de la compagnie en matière de maquillage et de qualité de travail, entre autres. Face à cette situation, j'ai décidé de tout expliquer en détail au service du personnel, qui a été compréhensif et a décidé de ne pas donner suite à cette affaire.

A Melbourne, en Australie

À Bahrain, j'ai souvent été perçue soit comme une française (n'ayant pas la maîtrise de l'arabe), soit comme une marocaine. Cependant, à part l'incident que j'ai mentionné précédemment, je n'ai jamais été confrontée à des problèmes de racisme. La compagnie aérienne pour laquelle je travaillais comptait plus de 70 nationalités, créant une ambiance où chacun était considéré comme unique et différent, pour ainsi dire.

Mon apparence physique est plutôt passe-partout, ce qui a entraîné des situations amusantes. En Inde, on me prenait pour une Parsi, à Athènes pour une Grecque, en Espagne pour une Espagnole, et dans le golfe persique pour une Libanaise. Un copain iraquien m'avait même prénomé "Raquel" car selon lui j'avais l'air juive et me présentait comme tel à ses amis palastiniens, qui n'avaient eu quelques réactions négatives à mon égard.

Par la suite, j'ai pris la décision de retourner dans mon pays natal, où j'ai entamé une nouvelle période d'études s'étalant sur quatre années. Cependant, lors de ma recherche d'emploi, j'ai malheureusement été souvent confrontée à ce fléau connu sous le nom de "discrimination à l'embauche".

Suite à mes études, j'ai eu l'opportunité de décrocher un remplacement de congé de maternité grâce à une agence intérim. Lorsque je suis allée récupérer mon salaire, la secrétaire de l'agence m'a confié que j'avais eu de la chance d'obtenir ce poste grâce à X, une commerciale de l'agence, car apparemment, la chef d'agence refusait d'embaucher des étrangers. J'ai alors précisé que j'étais française, mais la secrétaire a évoqué mon nom en guise de justification. Face à cette situation, j'ai préféré ne plus avoir de contact avec cette agence intérim.

J'avais postulé pour un poste chez  un chasseur de tête. Il m'avait félicité pour mon parcours, il a même parlé du Maroc qu'il connaissait bien, et puis il m'a questionné : "votre nom ne vous dérange pas". "Que voulez-vous dire Shehrazad ?" Lui ai-je répondu.... il a dit : "Non l'autre". Je suis restée sans voix. Je n'ai pas été retenue pour le poste, mais je pense que je ne l'aurai pas pris.

Permettez moi de vous raconter cette anecdote. Il n'y a pas très longtemps, je discutais, dans la rue,  avec le cordonnier du quartier qui est d'origine algérienne.  Une femme s'est immiscée dans la conversation, elle pointe du doigt une passante : "Vous voyez cette femme, elle couche avec tous les hommes, c'est une arabe. Les femmes arabes couchent avec tous le monde". Alors je lui ai dit : " Je suis arabe"... Elle m'a regardé avec de gros yeux. Elle est tellement surprise que je lui ai répété plusieurs fois :" je suis arabe". Et le cordonnier a fait de même. La femme n'en revenait pas. Et là je suis partie, à quoi bon discuter....

Récemment j'ai téléphoné à un organisme public connu dans ma région, pour avoir des informations sur une offre d'emploi. J'avais trouvé le numéro de téléphone de l'assistante de direction. Quelques minutes après m'être présentée, elle crie d'un ton haineux :

"Rentrez chez vous, il n'y a pas de travail en France".

Je suis Française, ma mère est alsacienne... Cette femme ne voulait pas entendre. Elle n'étendait rien.. Elle s'énervait. Je ne sais même pas qui a raccroché. J'étais abasourdie. J'ai envie de me plaindre, mais à quoi bon. Est-ce que cela va la changer ? Non. Et puis c'est difficile à prouver.

Je suis fière de mon pays de la France, je suis fière de mon pays le Maroc. Je ne changerai pas mon prénom "Shehrazad" et ni mon nom de famille pour avoir un emploi. Ce prénom, choisi par mes parents avec fierté à ma naissance, évoque la princesse des contes des Mille et une nuits. Une femme qui, grâce à son intelligence et son savoir, a su changer l'avis d'un sultan sur les femmes. Ce sultan, après avoir été trompé par sa nouvelle épouse, croyait que toutes les femmes étaient identiques et les décapitait dès le lendemain des noces.

Ce prénom est le symbole de la victoire d'une bataille d'une femme intelligente contre la stupidité d'un homme, contre son ignorance, contre ses préjugés....

Je pourrais franciser, ce prénom (d'origine persane), mais à quoi cela sert à mon âge.... Et puis que peut-on faire si certaines personnes n'aiment pas les différences ? Vous n'y pourrez rien changer, mes origines sont ce qu'elles sont, je suis comme je suis.

 Le racisme provient de l'ignorance et du manque d'ouverture d'esprit. Il ne se limite pas aux analphabètes, mais peut également émaner de personnes soi-disant instruites, même de celles qui ont voyagé et vu le monde. Le racisme est malheureusement universel, et il n'existe pas de nations supérieures aux autres. Sur cette terre, il n'y a pas de paradis, nous sommes tous des êtres humains avec nos différences et nos richesses culturelles à préserver et à célébrer.

Je terminerai cet article par une chanson de Georges Brassens : "La ballade des gens nés quelque part", interprétée par le groupe Tarmac. 


  

Article publié le 27 Octobre 2010 - Mise à jour le 14 novembre 2023

Commentaires

  1. Empreintes Inédites03/08/2011 00:47

    Bien dit...

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  2. Ne pas t'être perdue t'honore ...... un article propice à la méditation.

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  3. Très bel article, très bien écrit ! Tu me manques...
    Signé : une autre avec une double culture

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  4. Un témoignage poignant et pertinent ! Merci...

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  5. Bonsoir
    Un article qui remet beaucoup de choses en place. Bravo et bonne continuation

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